Cass. Soc., 11 mars 2015, n°13-18.603, FS-P+B
L’appréciation de la gravité des manquements que le salarié reproche à son employeur est laissée à l’entière discrétion des juges du fond.
Une salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a saisi une juridiction prud’homale afin de voir la rupture qualifiée de prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le manquement invoqué par la salariée pour que la prise d’acte de la rupture produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse est le harcèlement sexuel et moral dont elle avait été victime de la part d’un autre salarié.
L’affaire est portée devant la cour d’appel, laquelle décide de débouter la salariée de sa demande au motif que l’employeur avait, dès qu’il eût connaissance des faits de harcèlement, pris les mesures pour faire cesser ce trouble et sanctionner l’auteur en prononçant le licenciement de ce dernier pour faute grave. La cour d’appel a donc conclu de ces circonstances que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité de résultat.
Suite à cette décision, le salarié se pourvoit en cassation.
Un salarié victime de harcèlement moral et sexuel peut-il se prévaloir d’un manquement d’une gravité telle qu’il empêche la poursuite de la relation contractuelle alors que les faits de harcèlement ont cessé ?
La Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond en précisant que la cour d’appel qui « [avait constaté] que la salariée avait été victime d’un harcèlement moral et sexuel » devait « dès lors apprécier si ce manquement avait empêché la poursuite du contrat de travail ».
Commentaire :
Cette décision de la Cour de cassation confirme une jurisprudence constante selon laquelle les manquements de l’employeur invoqués par le salarié à l’appui de sa prise d’acte font l’objet d’une appréciation souveraine des juges du fond(1).
Ainsi, en l’espèce, un salarié victime de harcèlement moral et sexuel – harcèlement reconnu par l’employeur – ne pourra pas nécessairement se prévaloir d’un manquement d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle et justifier, de ce fait, une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les juges devront, même en cas de manquement avéré de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, apprécier la gravité du manquement et son impact sur la poursuite du contrat de travail avant de décider que la prise d’acte produit ou non les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le point de l’obligation de sécurité de résultat, cette solution est plus marquante et confirme à nouveau(2)le tournant opéré par la jurisprudence en mars 2014 en matière de prise d’acte et de résiliation judiciaire.
Avant les arrêts du 26 mars 2014, les juges auraient fait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la prise d’acte étant donné que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité et cette solution aurait été retenue quand bien même il aurait pris les mesures pour faire cesser ce trouble.
Reste que la décision retenue le 11 mars 2015 par les juges du droit confirme largement le rôle majeur des juges dans l’appréciation de la gravité des manquements reprochés à l’employeur dans le cadre d’une prise d’acte.
(1) Voir notamment, Cass. Soc., 9 juillet 2014, n°13-17.206 : « le moyen ne tend qu’à contester l’appréciation par la cour d’appel des éléments de fait dont elle a pu déduire l’absence de manquements suffisamment graves rendant impossible la poursuite du contrat de travail »
(2) Cette solution avait déjà été retenue le 15 janvier 2015 : Cass. Soc., 15 janvier 2015, n°13-17.374