Chronique jurisprudentielle du coemploi
Le coemploi est une création jurisprudentielle permettant aux salariés d’une filiale licenciés pour motif économique de rechercher la qualité de coemployeur auprès de la société mère devenant alors débitrice des obligations qui incombent à l’employeur, telles l’obligation d’établir un plan de sauvegardede l’entreprise, de reclassement accompagnant les licenciements économiques, et à la justification du motif allégué. Ainsi le motif économique invoqué ne tient plus.
La jurisprudence Aspocomp du 19 juin 2007 (05-42.551) a reconnu cette situation en recherchant le degré d’implication de la société mère dans la restructuration de la société filiale. La conséquence est que la société déclarée coemployeur doit assumer toutes les obligations financières de l’employeur contractuel de façon rétroactive.
La Cour de cassation a dégagé trois critères caractérisant le coemploi : la relation entre la société mère et la filiale doit justifier d’une confusion d’intérêts, d’activités et de direction. Le juge doit constater une immixtion anormale de la société mère dans la gestion de la filiale. Si l’appréciation reste malléable, une simple imbrication des intérêts ou encore l’appartenance à un même groupe ne peut suffire à caractériser cette situation.
Pierre Bailly, Conseiller doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation définissait le coemploi comme « un état de confusion entre des entités distinctes, à la faveur duquel l’une d’elle est intervenue directement dans la gestion des activités de l’employeur en le privant de sa réelle autonomie ».
La chambre sociale réserve depuis plusieurs mois la qualification de coemploi à des situations exceptionnelles et plusieurs solutions rendues ont rejeté la qualification de coemploi depuis 2012.
Cass. Soc., 2 juillet 2014, 13-15.208
Les effets du coemploi s’avérant redoutables, la Cour de cassation rappelle que sa reconnaissance doit être cantonnée à des situations exceptionnelles.
Victime de son succès, le concept de coemploi est apparu pour bien des critiques, comme utilisé par les juges du fond d’une manière trop opportune, analysée comme technique de soutien aux salariés victimes de politiques de gestion de groupes. A partir de 2013, la chambre sociale a recadré le débat et marqué un infléchissement de sa ligne jurisprudentielle, refusant dans une série d’arrêts de reconnaître le coemploi, désapprouvant souvent les cours d’appel de l’avoir retenu sans le caractériser en l’état de leurs constatations.
Cette affaire « Molex » intervient dans ce cadre de la restriction du champ d’application du coemploi. Désormais, « une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l’égard du personnel employé par une autre que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activité et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ».
Le signal fort qu’envoie la Cour de cassation aux juges du fond est qu’ils doivent dorénavant apprécier le concept de coemploi de manière restrictive. En effet « le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et que la société mère ait pris dans la cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir de la filiale et se soit engagée à fournir les moyens nécessaires au financement des des mesures sociales liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois, ne pouvait suffire à caractériser une situation de coemploi ».
Cet arrêt ne pose pas la fin du coemploi, cependant la reconnaissance d’un état de domination économique étant inhérente à tout groupe de sociétés, il faudra désormais distinguer entre l’ingérence normale et tolérée de la société mère dans les affaires de sa filiale, conséquence de cet état de domination, et l’ingérence anormale et prohibée, caractérisant une situation de coemploi. Concrètement, le coemploi doit être matériellement établi par une immixtion de la société mère dans la gestion sociale et économique et dans son seul intérêt.
Cass.soc., 8 juillet 2014, 13-15.573, 13-15.470
Le recours aux mécanismes de la responsabilité civile délictuelle de droit commun
Quelques jours après l’affaire « Molex », deux arrêts rendus dans l’affaire « Sofarec », admettent la responsabilité civile d’une société mère qui avait, par sa faute et légèreté blâmable, concouru à la déconfiture de sa filiale.
La cour de cassation, confirmant le rejet de la qualification de coemploi par la cour d’appel, souligne que la « société Sofarec, directement ou par l’intermédiaire de la société Financière GMS, avait pris des décisions dommageables pour la société Capdevielle, qui avaient aggravé la situation économique difficile de celle-ci, ne répondaient à aucune utilité pour elle et n’étaient profitables qu’à son actionnaire unique ».
Les règles de la responsabilité civile délictuelle semblent ainsi relayer l’infléchissement jurisprudentiel cantonnant le coemploi aux situations exceptionnelles.
La technique de la responsabilité civile est néanmoins beaucoup moins intéressante pour les salariés que la reconnaissance du coemploi. En effet, l’application des articles 1382 et 1383 du code civil imposent classiquement la preuve d’une faute, d’un préjudice et du lien de causalité. À charge donc pour les salariés de montrer que le comportement de la société mère était contraire à l’intérêt social de la filiale, voire du groupe, cette question restant posée. Dans tous les cas, les demandes salariales ne pourra porter sur l’imputation des obligations de l’employeur à la charge de la société-mère. Dès lors apparaissent les difficultés sur l’évaluation du préjudice et de son indemnisation. Faut-il considérer que l’indemnité de licenciement déjà perçue répare le préjudice ? Les demandes pourraient alors se déplacer sur le terrain de la perte de chance d’avoir conservé son emploi ou bénéficié d’un PSE.
CA Amiens, 5e ch. soc., 30 septembre 2014
Reconnaissance de la qualité de coemployeur de la maison mère Continental AG pour les salariés licenciés de l’usine de Clairoix
Cette décision fait suite au très commenté arrêt Molex de la Cour de cassation de juillet 2014.
La cour d’appel d’Amiens a invalidé le motif économique des licenciements de 683 anciens salariés de l’usine Continental de Clairoix (Oise). La cour d’appel a effet confirmé les trois principaux points de la décision du conseil des prud’hommes de Compiègne.
Le constat d’une situation de coemploi révèle, selon l’expression de Pierre Bailly, « un état de confusion entre des entités distinctes, à la faveur duquel l’une d’elle est intervenue directement dans la gestion des activités de l’employeur en le privant de sa réelle autonomie ». La reconnaissance du coemploi dans cette affaire, s’appuie sur la constatation du contrôle opérationnel étroit et constant sur sa filiale française détenue à 100 %, le fait qu’elle qu’elle dictait et imposait ses choix stratégiques, et prenait en lieu et place de Continental France les décisions les plus importantes en matière de gestion économique et sociale.
Outre « l’absence de justification économique des licenciements, au regard de la situation et des résultats d’ensemble du groupe de dimension mondiale Continental », la cour a considéré que « l’obligation de reclassement n’a pas été satisfaite à l’égard des salariés concernés ».
cass. soc., 18 février 2015, 13-22.595
Une collaboration économique déséquilibrée entre société mère et filiale n’implique la reconnaissance du coemploi
Conformément aux dernières décisions rendues en matière de coemploi par la chambre sociale, tendant à faire perdre de la vigueur au coemploi, la cour de cassation rappelle strictement les critères de caractérisation du coemploi.
En l’espèce, une salariée, embauchée par la société Netlogix, est mise à disposition de la société Smile Industries dans le cadre d’un contrat général de collaboration entre les deux sociétés, la société Smile Industries étant la société mère ou la société dominante du groupe. Licenciée pour inaptitude, elle saisit le conseil de prud’hommes afin de voir reconnaître une situation de coemploi et obtenir le paiement de plusieurs indemnités relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.
La cour d’appel de Colmar le 6 juin 2013 a accueilli les demandes de la salariée et a considéré qu’une situation de coemploi était établie entre les deux sociétés. Elle avait relevé que la société Netlogix se retrouvait dans un état de dépendance économique, dans la mesure où ses prestations de sous-traitante pour l’exploitation d’une licence de logiciel étaient assurées gratuitement pour le compte de la société Smile Industries. Enfin, les campagnes de la société Smile Industries étaient gérées par la société Netlogix sans qu’elle ne réalise de marge commerciale. La Cour d’appel ajoutait que les deux sociétés exerçaient leurs activités dans les mêmes locaux, que leurs sièges sociaux étaient situés à la même adresse et que leurs dirigeants étaient identiques.
La Cour de cassation censure cette décision et réaffirme dans cet arrêt les critères du coemploi « hors état de subordination », à savoir « une confusion d’intérêts, d’activités et de direction », qui doivent être séparément relevés par les juges du fond. Elle ajoute que « l’immixtion de la société » n’a pas été caractérisée, signe du caractère déterminant de cette manifestation dans la constatation d’une situation de co-emploi.
En l’espèce, la Cour de cassation reprend les termes de l’attendu de principe de l’arrêt « Molex » . Elle précise que, « hors état de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ».
La chambre sociale revient une nouvelle fois sur la distinction entre la coordination des activités économiques des sociétés d’un groupe, qui relève d’une situation anormale, et la confusion d’intérêts, d’activités de direction, qui caractérise a contrario une immixtion anormale. La domination d’une société mère n’implique pas une immixtion dans la gestion économique et sociale de l’entreprise filiale. En effet, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir caractérisé l’immixtion dans la gestion sociale de la société Netlogix. Or celui-ci est un indice fort du coemploi[1].
Dès lors, confirmant les dernières décisions sur le sujet, une situation de coemploi ne peut être retenue.
[1]Cass.soc. 18 janvier 2011, 09-69.199