Cass. Soc. 09 juillet 2014 n° 13-16.434
Licenciement d’un salarié protégé après la période de protection : le juge judiciaire peut prendre en compte l’analyse de l’inspecteur du travail
La Cour de Cassation considère que lorsque l’autorisation administrative de licencier a été refusée parce que le motif de licenciement est entaché de discrimination syndicale, l’employeur qui reprend la même argumentation pour justifier un licenciement prononcé à l’issue de la période de protection s’expose à ce que le juge judiciaire annule le licenciement pour discrimination syndicale et octroie au salarié une indemnité sans aucune déduction.
En l’espèce, en 2008 la société Sabec a acquis auprès du groupe Accor un hôtel Ibis dirigé depuis 1991 par M. X… , par ailleurs représentant syndical au comité d´entreprise. La demande d’autorisation de transfert de M. X… , d´abord refusée par l’inspecteur du travail, a été autorisée par décision du ministre du travail le 31 décembre 2008. Puis, la société Sabec a demandé à l’inspection du travail l’autorisation de licencier M. X…pour motif économique. Mais cette autorisation a été refusée par l’inspecteur du travail le 19 juin 2009 au motif que la demande était liée au mandat et aux responsabilités de représentant du personnel du salarié.
Finalement, le 28 août 2009, le salarié, dont la période de protection s’achevait le 30 juin 2009, a été licencié pour motif économique.
Mais ce licenciement a été annulé par la cour d´appel, statuant en référé, le 26 novembre 2009, en raison de l’identité des motifs avec ceux ayant donné lieu à décision de refus de l’administration et de son caractère discriminatoire.
Le 31 mars 2010, la société Sabec a notifié à M. X…un nouveau licenciement pour motif économique. Ce licenciement est à nouveau considéré nul par la Cour d’Appel et la société Sabec se pourvoi en cassation contre cette décision.
Mais, la Cour de cassation rejoint la Cour d’Appel dans son analyse : « Mais attendu, d´abord, que la cour d´appel a relevé que les motifs de licenciement invoqués dans la lettre du 30 mars 2010 étaient identiques à ceux ayant fait l’objet de la décision de refus opposée par l’inspecteur du travail en raison du lien avec le mandat ; qu’ayant constaté que ces motifs n’étaient pas justifiés par des circonstances postérieures à la décision administrative dès lors que, s’agissant de l’impossibilité d´employer deux directeurs, il n’était toujours pas expliqué la raison pour laquelle il avait été choisi de licencier M. X…, dont l’ancienneté était de dix-sept ans, plutôt que la salariée qui avait été engagée en mai 2008, ni fait état de recherches de reclassement, et que s’agissant des difficultés économiques, elles n’étaient pas plus avérées que lors de la décision de refus considérant qu’elles n’étaient pas établies, et qu’au contraire l’entreprise faisait preuve d´une bonne vitalité, elle en a exactement déduit que le licenciement du 30 mars 2010, décidé après l’annulation par le juge des référés, pour les mêmes motifs, du licenciement prononcé le 28 août 2009, était fondé sur des motifs discriminatoires et devait en conséquence être annulé ».
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation va, malgré le principe de séparation des pouvoirs, admettre que le juge judiciaire, sans être y être lié, ne peut pas ne pas prendre en compte le refus d’autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé, lorsque l’employeur décide de le licencier après la période de protection, sans qu’il soit justifié par des motifs nouveaux postérieurs au refus. Cela relevant de discrimination syndicale.
De plus, il est de jurisprudence constante, que le salarié dont le licenciement est nul qui demande sa réintégration, a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, mais dans la limite du montant des salaires dont il a été privé. Une déduction de l’indemnisation est donc admise (Cass. soc. 3 juillet 2003 n° 01-44.717).
Mais, il est des cas où aucune déduction ne peut être faite. Notamment lorsque le licenciement d’un salarié protégé est nul en raison de l’absence d’autorisation administrative (Cass. soc. 10 octobre 2006 n° 04-47.623). Et lorsque le licenciement est nul du fait de la violation d’une liberté ou d’un droit garanti par la Constitution (Cass. soc. 10 octobre 2006 n° 04-47.623).
En l’espèce, la Cour de Cassation casse et annule la décision de la Cour d’Appel « mais seulement en ce qu’il déduit de l’indemnité allouée à M. X…au titre de la période entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration le montant des salaires ou du revenu de remplacement perçu par M. X…pendant cette période ».
Cet arrêt fournit alors une troisième hypothèse liée à la violation de la liberté syndicale.
Le licenciement caractérise ici une atteinte à la liberté syndicale, protégée par l’article 6 du préambule de la Constitution, de sorte que l’indemnisation ne doit faire l’objet d’aucune déduction. Le salarié pouvait prétendre à une indemnité égale au montant de la rémunération qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et sa réintégration, peu important qu’il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période.
La Cour confirme ici la jurisprudence antérieure (Cass. soc. 2 juin 2010 n° 08-43.277).