CE 15 octobre 2014 n°362235

 

Le licenciement d’un salarié protégé pour des actes de la vie personnelle

 

Le Conseil d’Etat considère que lorsque le licenciement d’un salarié protégé est motivé par un acte de la vie personnelle, qui ne constitue pas une faute liée à l’exécution de son contrat de travail, l’inspecteur du travail notamment, devra déterminer si les faits en cause sont établis et de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

En l’espèce, la société Gefco demande l’autorisation de licencier un représentant du personnel, salarié protégé, à qui il est reproché d’avoir « adressé à une jeune salariée de l’entreprise des appels téléphoniques et de nombreux courriels au contenu déplacé et insultant alors qu’elle lui avait expressément demandé, à plusieurs reprises, de cesser de l’importuner, et d’avoir persisté dans ce comportement, allant jusqu’à la poursuivre à son domicile ».

D’abord autorisé, le licenciement est ensuite, par le jeu des recours, refusé. La société Gefco saisit le Tribunal administratif de Lille qui annule l’autorisation.

Puis, la société Gefco saisit la Cour Administrative d’Appel de Douai qui relève que sa demande « était motivée non pas par les fautes que le salarié aurait commises dans l’exécution de son contrat de travail, mais par des agissements survenus en dehors de l’exécution de ce contrat et rendant impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise », et que « ces agissements, alors même qu’ils avaient pu affecter psychologiquement la salariée en cause, n’étaient pas à eux seuls de nature à rendre impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise ».

Mais, saisi par la société Gefco, le Conseil d’Etat ne rejoint pas l’avis de la Cour Administrative d’Appel. Il rappelle le principe que « le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l’inspecteur du travail ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale ; que dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié qui, ne méconnaissant pas les obligations découlant pour lui de son contrat de travail, ne constitue pas une faute, il appartient à l’inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l’entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé ».

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat, va dégager le principe selon lequel, si la demande de licenciement d’un salarié protégé n’est pas liée à une faute commise dans l’exécution de son contrat de travail, il faudra rechercher si les faits reprochés sont établis et sont de nature à impacter les conditions de travail au sein de l’entreprise.

Après avoir dégagé cette règle, il opère son contrôle et qualifie les agissements du salarié au regard de leurs répercussions sur la salariée concernée, « affectée psychologiquement, eu égard au caractère répété des agissements et aux antécédents de l’intéressé ». Il en déduit que, ces agissement répétés « étaient de nature à rendre impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise ».

Le Conseil d’État rappelle qu’il exerce un contrôle de qualification juridique pour savoir si les faits reprochés au salarié protégé justifient son licenciement.

Normalement, un acte relevant de la vie privée du salarié ne peut être un motif de licenciement. Et ce, qu’il s’agisse de représentant du personnel ou non.

Mais, la jurisprudence avait déjà relevé quelques exceptions à cet égard, notamment lorsque les agissements caractérisent un trouble pour l’entreprise.

Le Conseil d’État avait adopté le même raisonnement dans le cas d’un licenciement pour des agissements commis par un salarié protégé au cours de l’exercice de son mandat[1], et dans un autre cas de faits relevant de la vie privée[2].

Et, concernant un salarié non représentant du personnel, la Cour de Cassation adopte une position proche : pour elle, si les éléments tirés de la vie privée du salarié ne peuvent en principe constituer une faute, ils peuvent justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse lorsque le comportement du salarié a créé un “trouble caractérisé au sein de l’entreprise[3].

Comme pour le Conseil d’État, ce qui importe le plus à la Cour de Cassation, ce sont aussi les répercussions sur l’entreprise.

 

[1] CE. 4 juill. 2005 n°272193

[2] CE. 15 déc. 2010 n° 316856

[3] Cass. soc. 14 sept. 2010 n°09-65.675

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