Décision du Conseil Constitutionnel relative aux indemnités de congé payé et licenciement pour faute lourde:

 

Conseil Constitutionnel, 02/03/2016, Décision n° 2015-523 QPC

 

Indemnités compensatrices de congé payé octroyées même en cas de licenciement pour faute lourde du salarié

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 décembre 2015 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt du même jour n° 2247), d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Michel O. relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article L. 3141-26 du code du travail.

En effet l’article L. 3141-26 prévoyait que : « Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d’après les dispositions des articles L. 3141-22 à L. 3141-25.

L’indemnité est due, dès lors que la rupture du contrat de travail n’a pas été provoquée par la faute lourde du salarié, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l’employeur.[…] »

Dans sa décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « dès lors que la rupture du contrat de travail n’a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au deuxième alinéa de cet article.

 

 

  • Quelques précisions sont cependant nécessaires:

De manière générale, un salarié, à la rupture de son contrat de travail, peut prétendre à l’indemnité compensatrice de congé payé à trois conditions : le travailleur doit pouvoir prétendre au bénéfice d’un congé annuel ; il ne doit pas avoir été en mesure d’exercer l’intégralité de son droit lorsque survient le terme du contrat; l’extinction du contrat de travail ne doit pas reposer sur la faute lourde.

La faute lourde du salarié, degré le plus élevé dans la hiérarchie des fautes en droit du travail, prive ainsi le salarié de toutes ses indemnités et constitue donc une dérogation au principe du versement de l’indemnité compensatrice de congés payés.

Néanmoins il existe une exception posée par l’article L-3141-28 du code du travail qui prévoit que : « les dispositions de l’article L-3141-26 ne sont pas applicables lorsque l’employeur est tenu d’adhérer à une caisse de  congés en applications de l’article L.3141-30 ». Il en résulte que le salarié licencié pour faute lourde par un employeur affilié à une caisse de congés bénéficie de l’indemnité compensatrice de congés payés.

Il en est ainsi pour les salariés du bâtiment et des travaux publics, des entreprises de transport, des entreprises de manutention des ports et des dockers, et les entreprises de spectacles.

 

 

  • Concernant la question prioritaire de constitutionnalité soulevée:

Michel O., licencié pour faute lourde, a saisi le conseil de prud’hommes d’Ajaccio aux fins de contester cette mesure de licenciement.

Par un jugement du 2 septembre 2014, le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, notamment au motif que les faits reprochés étaient prescrits. Il a condamné l’employeur au paiement de la somme de 305 899 euros.

Ce dernier ayant relevé appel, la Cour d’appel de Bastia a, par un arrêt du 18 mars 2015, prononcé la nullité du jugement et jugé fondé le licenciement pour faute lourde. La cour a débouté le requérant de l’ensemble de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture de son contrat de travail et du rappel de salaire et de congés payés.

Le 13 juillet 2015, le requérant a formé un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel, par un mémoire distinct du 8 octobre 2015, il a soulevé une QPC ainsi formulée : « L’alinéa 2 de l’article L. 3141-26 du code du travail prévoyant que l’indemnité compensatrice du droit acquis aux congés est due sauf en cas de licenciement pour faute lourde est-il contraire à « l’article 11 » du préambule de la Constitution de 1946, disposant que la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ? ».

Par un arrêt du 2 décembre 2015, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la QPC au motif qu’elle présente un caractère sérieux « en ce que l’article L. 3141-26, alinéa 2, du code du travail prévoit un cas de perte de jours de congés payés sans lien avec les règles d’acquisition ou d’exercice de ces droits au repos ».

 

 

  • Le raisonnement du Conseil constitutionnel :

Le requérant soutenait ainsi que les dispositions de l’alinéa 2 de l’article L.3141-26 du code du travail portaient atteinte au droit au repos et à la protection de la santé issu de la Constitution de 1946, dans la mesure où le salarié ayant commis une faute lourde ne percevait pas d’indemnité compensatrice de congé payé.

Il soutenait  aussi que cette privation n’était en rien en rapport avec la faute commise, méconnaissant ainsi le principe d’individualisation des peines.

Mais le Conseil va plus loin dans son raisonnement en soulevant d’office le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

Il a effectivement considéré qu’il existait , en application des articles L.3141-26 et L.3141-28 du code du travail, une différence de traitement entre les salariés licenciés pour faute lourde dont l’employeur est tenu d’adhérer à une caisse de congés et ceux dont l’employeur n’est pas tenu d’adhérer à une caisse de congés : « les salariés qui n’ont pas encore bénéficié de l’ensemble des droits à congé qu’ils ont acquis lorsqu’ils sont licenciés se trouvent placés, au regard du droit à congé, dans la même situation ; que, par suite, en prévoyant qu’un salarié ayant travaillé pour un employeur affilié à une caisse de congés conserve son droit à indemnité compensatrice de congé payé en cas de licenciement pour faute lourde, alors que tout autre salarié licencié pour faute lourde est privé de ce droit, le législateur a traité différemment des personnes se trouvant dans la même situation. »

En conséquence le Conseil a affirmé que : « la différence de traitement entre les salariés licenciés pour faute lourde selon qu’ils travaillent ou non pour un employeur affilié à une caisse de congés est sans rapport tant avec l’objet de la législation relative aux caisses de congés qu’avec l’objet de la législation relative à la privation de l’indemnité compensatrice de congé payé ; que, par suite, les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant la loi ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ».

Cette décision est applicable dès sa publication et peut être invoquée dans toute les instances introduites à cette date et non encore jugées.

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