Accès de l’expert comptable à l’information sur la stratégie du groupe

 

CA Lyon, 8 janvier 2016, n°14/09041

 

Pour la cour d’appel de Lyon, si la stratégie d’une filiale est définie par la société mère, l’expert-comptable du comité d’entreprise de cette filiale a accès aux informations sur la stratégie du groupe.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, le comité d’entreprise est consulté chaque année sur les orientations stratégiques de l’entreprise et sur leurs conséquences. Dès l’origine, nombre de commentateurs de la loi ont pointé les limites de cette nouvelle consultation prévue par l’article L 2323-7-1 du Code du travail (devenu article L 2323-10 depuis le 1er janvier 2016) : certaines entreprises, soit n’ont pas de stratégie, soit n’ont aucune autonomie dans la définition de leur stratégie, celle-ci leur étant dictée par leur société mère.

L’affaire soumise à la cour d’appel de Lyon présentait les deux difficultés. D’une part, l’entreprise en cause, exécutant une convention de délégation de service public, prétendait ne pas disposer de stratégie autre que celle tendant à l’exécution de cette délégation. D’autre part, l’expert-comptable du comité d’entreprise soutenait que la stratégie étant définie au niveau du groupe, il devait, pour comprendre les orientations stratégiques de l’entreprise, avoir accès aux éléments d’orientation stratégique du groupe et pouvoir rencontrer des interlocuteurs du groupe.

 

Un délégataire de service public a une stratégie

La direction, estimant ne pas avoir de stratégie autre que celle liée à l’exécution de la délégation de service public, avait fourni une note d’information très succincte au comité d’entreprise. Celui-ci soutenait que cette note ne lui permettait ni d’émettre un avis éclairé sur la stratégie de l’entreprise et ses conséquences, ni de proposer des orientations alternatives.

Sur ce point, la cour d’appel de Lyon apporte une réponse qui ne saurait surprendre : même un délégataire de service public a une stratégie. Il lui appartient en effet de prendre les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs attendus de lui dans la convention de service public. Et il demeure pleinement responsable de la gestion des services qui lui sont délégués ainsi que des biens et moyens mis à sa disposition. Il ne peut donc pas se retrancher derrière l’existence de la délégation de service public pour refuser de fournir à son comité des éléments d’information sur sa stratégie pour l’avenir ainsi que sur les moyens qu’il entend mettre en œuvre en vue d’atteindre ses objectifs.

 

L’expert-comptable du comité d’entreprise a accès à la stratégie du groupe

Sur le deuxième point litigieux, la position de la cour d’appel de Lyon est à première vue plus audacieuse puisqu’elle accepte que l’expert-comptable du comité d’entreprise de la filiale ait accès à la stratégie du groupe. La loi prévoyant une consultation sur les orientations stratégiques « de l’entreprise », on aurait pu en effet s’attendre à ce que l’expert-comptable du comité d’entreprise se voie refuser l’accès aux orientations stratégiques du groupe.

Néanmoins, cette solution peut être rapprochée de celle retenue à propos de la consultation du comité d’entreprise sur les comptes annuels de l’entreprise. Pour la Cour de cassation, en effet, l’expert-comptable missionné dans le cadre de cette consultation peut, pour apprécier la situation de l’entreprise, étendre ses investigations à la société mère (Cass. crim. 26-3-1991 n° 89-85.909) ou aux autres sociétés du groupe (Cass. soc. 8-11-1994 n° 92-11.443), y compris à celles situées à l’étranger (Cass. soc. 27-11-2001 n° 99-21.903; Cass. soc. 5-3-2008 n° 07-12.754).

Il n’est donc pas exclu qu’en cas de pourvoi dans la présente l’affaire, la Cour de cassation approuve l’arrêt de la cour d’appel de Lyon. D’autant que celle-ci prend soin de relever, pour donner gain de cause à l’expert, que la société ne disposait d’aucune autonomie réelle car sa stratégie était, pour l’essentiel, définie et contrôlée dans son application par le groupe. D’une part, les contrats conclus avec la puissance publique étaient signés au nom du groupe par son président et non par le président de la société, alors que ces engagements contractuels constituaient le cadre de son activité et conditionnaient ses objectifs pour la durée d’exploitation. D’autre part, de nombreux cadres salariés étaient détachés dans les directions des filiales du groupe.

Il est toutefois permis de se demander si la loi 2015-994 du 17 août 2015, en introduisant la possibilité, à compter du 1er janvier 2016, de mener la consultation sur les orientations stratégiques au niveau du groupe, ne constitue pas, pour l’avenir, un obstacle à la solution retenue par la cour d’appel de Lyon. Il pourrait en effet être soutenu que le niveau auquel est menée la consultation détermine le champ de l’information à laquelle l’expert a accès.

Il nous semble toutefois que ce serait confondre le rôle de l’expert et les moyens dont il dispose pour exercer sa mission. Selon nous, lorsque la consultation est menée au niveau de l’entreprise, l’expert n’examine que la stratégie de l’entreprise mais, si nécessaire, en l’appréciant au regard de celle du groupe. En revanche, si la consultation est menée au niveau du groupe, l’expert apprécie la stratégie du groupe tout entier.

 

L’expert-comptable de la filiale ne peut pas rencontrer les interlocuteurs du groupe

Si le comité d’entreprise et son expert-comptable obtiennent gain de cause sur les deux premiers points en litige, en revanche leur demande visant à obtenir un entretien entre des interlocuteurs du groupe et l’expert-comptable du comité est rejetée. La cour d’appel de Lyon rappelle qu’aucun texte ne lui permet de contraindre un groupe à recevoir l’expert-comptable du comité d’entreprise d’une filiale.

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