Conseil d’Etat, 23 décembre 2014, n°364616
Prise en compte du critère du secteur géographique pour apprécier le refus du salarié protégé de changer de zone de travail
Le Conseil d’Etat retient le critère du secteur géographique apprécié de façon objective pour savoir si un changement de zone de prospection du salarié protégé est un simple changement des conditions de travail ou pas. Ainsi, le sort du salarié protégé rejoint celui du salarié non protégé.
En l’espèce, un salarié, titulaire d’un mandat de délégué syndical, exerçant ses fonctions de chef de secteur commercial en Île-de-France, s’est vu proposer par l’employeur, une autre zone de prospection regroupant l’Yonne, la Nièvre, le Cher et le Doubs.
Face au refus du salarié, l’employeur l’a licencié pour faute après avoir obtenu l’autorisation de l’inspecteur du travail.
La mesure a été jugée justifiée par la cour administrative d’appel, considérant que le changement de zone de prospection devait s’analyser en un simple changement des conditions de travail.
Pour cela, les juges du fond avaient retenu d’une part qu’aucune mention du secteur géographique de travail ne figurait dans le contrat du salarié et d’autre part que le changement de son secteur de prospection n’impliquait ni d’aggravation de ses conditions de travail dans la mesure où sa rémunération et sa mission restaient inchangées, ni de changement de résidence. La nouvelle affectation du salarié avait même pour effet de le rapprocher de son domicile situé dans l’Yonne.
Le refus du salarié pouvait ainsi être considéré comme fautif et légitimer un licenciement disciplinaire.
Mais le Conseil d’État a censuré ce raisonnement, faute pour les juges du fond de s’être fondés sur le critère décisif tenant à l’identité de secteur géographique : « pour juger que le changement de zone de prospection imposé à M. B…ne constituait pas une modification du contrat de travail de l’intéressé mais un simple changement dans ses conditions de travail dont le refus constituait une faute de nature à justifier son licenciement, la cour a retenu qu’aucune mention du secteur géographique de travail ne figurait dans son contrat de travail ni dans les avenants à celui-ci, et que, eu égard à la nature même de l’emploi de M.B…, le changement de secteur de prospection n’impliquait pas de changement de résidence de l’intéressé ni d’aggravation dans ses conditions de travail ; qu’en se fondant sur de tels éléments, alors qu’elle devait seulement rechercher si le nouveau lieu de travail de l’intéressé était situé dans un secteur géographique différent de l’ancien, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite son arrêt doit être annulé ».
Dans cet arrêt, il est question pour le Conseil d’Etat de déterminer les hypothèses dans lesquelles un changement d’affectation constitue une modification du contrat de travail ou, au contraire, un simple changement des conditions de travail.
En effet, dans le premier cas, le refus opposé par le salarié protégé n’est pas fautif et ne peut donc jamais justifier un licenciement disciplinaire. Dans le second, le refus constitue une faute susceptible de justifier un licenciement sur ce fondement.[1]
Le Conseil d’Etat adopte ici le même raisonnement que la Cour de Cassation en la matière, en optant pour le critère du secteur géographique, apprécié de manière objective sans prendre en compte la situation personnelle du salarié.[2]
L’intérêt de cette décision est de placer tous les salariés protégés et non protégés sur un pied d’égalité en matière de changement de lieu de travail.
Cette décision permet à l’inspecteur du travail, saisi d’une autorisation de licenciement, de savoir quel critère prendre en compte pour déterminer si le régime de la modification du contrat est applicable ou non, et donc si le refus de mobilité exprimé par le salarié protégé est légitime ou fautif.
Ainsi, en l’absence de clause de mobilité, tout déplacement du lieu de travail dans un secteur géographique différent constitue une modification du contrat de travail.
À l’inverse, un changement d’affectation dans le même secteur géographique, est un simple changement des conditions de travail dont le refus est en principe fautif.
[1] CE. 21 nov. 2012, n° 334658
[2] Cass. soc. 16 déc. 1998, n°96-40.927 ; Cass. soc. 29 oct. 2014, n° 13-21.192 ; Cass. soc. 27 nov. 2002, n° 00-45.751
15 avril, 2015