Cass. Soc., 27 janvier 2015, n°13-25.437, n° 13-22.179, n°13-14.773:

 

La Cour de cassation énonce que « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ».

L’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 vise la participation « de tout travailleur » par « l’intermédiaire » de ses délégués à la détermination collective de ses conditions de travail. Autrement dit, le droit à la négociation collective est en quelque sorte un droit individuel s’exerçant collectivement.

La Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en matière de preuve. En effet, en admettant une présomption du caractère justifié des différences de traitement catégorielles, la Cour renverse la charge de la preuve où ce n’est désormais plus à l’employeur d’apporter la preuve de la justification de ces avantages mais au salarié qui revendique le bénéfice d’un avantage réservé à une autre catégorie professionnelle qu’il appartient de démontrer une atteinte au principe d’égalité.

Toutefois, ce renversement de la charge de preuve joue uniquement pour les «conventions ou accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote ». Par cette formulation, la Cour de cassation rappelle le rôle primordial des organisations syndicales représentatives lesquelles incarnent et défendent les intérêts des salariés.

Force est de constater que ce changement de cap de la Cour s’inscrit dans le prolongement des lois du 20 août 2008 et du 5 mars 2014 venues modifier les règles de représentativité des organisations syndicales tant salariales que patronales et augmenter leur légitimité. Pour la Cour de cassation, «les négociateurs sociaux, agissant par délégation de la loi, devaient disposer dans la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement d’une marge d’appréciation comparable à celle que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur ». D’autant plus que ces différences de traitement résultent souvent de négociations menées avec des syndicats catégoriels disposant légalement d’une capacité propre de représentation et de négociation, et qui peuvent être affiliés à la même confédération que les syndicats intercatégoriels ayant négocié les dispositions applicables aux autres catégories.

En adoptant cette présente solution, la Cour de cassation insiste alors sur la légitimité de la négociation collective et sur la force de l’accord collectif. Jean‐Marc BERAUD, conseiller doyen à la chambre sociale de la Cour de cassation, a d’ailleurs été interrogé sur les raisons et les incidences de cette nouvelle jurisprudence, et il est venu préciser qu’une présomption de justification des avantages catégoriels « confère à la négociation collective et à son résultat une sécurité juridique que beaucoup se plaignaient d’avoir perdue du fait des risques de contentieux ultérieurs à l’issue incertaine»[1].

Ainsi, la Haute juridiction revient sur la célèbre jurisprudence « Pain » où elle estimait que «la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence » (Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675). Puis, en 2011, une jurisprudence vient préciser que les différences devaient reposer sur des raisons objectives, dont le juge devait contrôler concrètement la réalité et la pertinence compte tenu des spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération(Cass. soc., 8 juin 2011 n°10- 14.725 et n°10-11.933). L’employeur devait donc justifier lorsqu’un salarié réclamait le bénéfice d’un avantage réservé à une autre catégorie professionnelle, de la pertinence de l’avantage institué dans la convention ou l’accord collectif.

Néanmoins, la Cour de cassation ne remet pas totalement en cause le principe du contrôle du juge sur la légitimité des différenciations catégorielles mais elle en limite très significativement la portée lorsqu’elles ont une origine conventionnelle. De fait, bien que « l’expérience a montré que cette exigence de justification se heurtait à des difficultés tenant notamment au fait qu’elle pesait le plus souvent sur un employeur pris individuellement alors qu’était en cause une convention ou un accord conclus au plan national », comme l’a affirmé la Cour de cassation, les termes mêmes des arrêts du 27 janvier 2015 limitent l’application de la présomption du caractère justifié des différences de traitement catégorielles aux seuls dispositifs issus de la négociation collective. Par déduction, si les différenciations catégorielles résultent de décisions unilatérales des employeurs, la jurisprudence de 2011 s’applique.

 

[1]Commentaire de Jean-Marc Béraud

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