Rapport au Premier Ministre du 25 janvier 2016
Les neuf membres du comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail, présidé par Robert Badinter, ont remis leurs conclusions au Premier ministre le 25 janvier 2016.
Le chantier de la réforme du Code du travail voulue par le Gouvernement avait été lancé avec la remise du rapport Combrexelle sur la négociation collective, le travail et l’emploi en septembre 2015.
Seconde étape le 25 janvier 2016, avec la présentation par Robert Badinter des travaux du comité chargé de dégager les principes ayant vocation à fonder le “nouveau” Code du travail.
La méthode de travail:
Un comité de 9 sages a été chargé en novembre 2015 de “dégager les principes juridiques les plus importants” en matière de droit du travail. Les membres du comité devaient procéder à une analyse des règles régissant le droit du travail pour “mettre en lumière les piliers sur lesquels repose l’édifice”. Le rapport du 25 janvier 2016 recense 61 principes essentiels.
Le comité a précisé, avant de présenter le fruit de ses travaux, que l’énoncé des principes était volontairement bref : les commentaires qui auraient alourdi le texte ont été écartés.
D’autre part, le comité a travaillé à droit constant, en se basant sur les règles actuellement en vigueur en matière de droit du travail. Aucune proposition nouvelle n’est donc formulée : il s’agissait pour le comité d’extraire les règles d’ordre public du droit du travail actuellement en vigueur. Toutefois, le travail réalisé ne constitue pas un simple inventaire : il s’agissait de hiérarchiser les règles servant de socle au droit du travail. En effet, comme l’a rappelé Robert Badinter, Président du comité, “formuler les principes, c’est faire la lumière sur ce qui importe et laisser dans l’ombre ce qui est second”.
Certains des principes dégagés ont une force juridique supérieure à celle de la loi, parce qu’ils ont valeur constitutionnelle (par exemple, le droit de grève) ou qu’ils figurent dans des conventions internationales ou des textes de l’Union européenne.
Les principes essentiels retenus:
Les 61 principes recensés par le comité des sages s’articulent autour de 8 thèmes.
Les libertés et droits de la personne au travail:
Sont notamment visés le respect de la dignité et de la vie privée des salariés, la protection contre les discriminations et le harcèlement, l’égalité entre les femmes et les hommes, le respect des droits et libertés fondamentaux du salarié et l’interdiction du travail des mineurs.
Sont érigés en principe la recherche de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la liberté du salarié d’exprimer ses convictions, y compris religieuses, qui ne peut connaître de restrictions que si elles sont nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise et proportionnées au but recherché.
La formation, l’exécution et la rupture du contrat de travail:
Cette partie constitue la plus importante : elle compte 19 propositions.
Il est rappelé que le contrat de travail est par principe à durée indéterminée : il ne peut être conclu à durée déterminée que dans les cas prévus par la loi. Il peut prévoir une période d’essai.
Sont notamment recensés les principes essentiels en matière de droit disciplinaire (proportionnalité des sanctions, interdiction des sanctions pécuniaires, respect des droits de la défense), l’interdiction de la mise à disposition de salariés à but lucratif, sauf cas prévus par la loi, la protection de la grossesse et de la maternité, l’accès des salariés à la formation professionnelle, l’obligation pour l’employeur d’adapter les salariés à l’évolution de leur poste, le transfert des contrats de travail induit par un transfert d’entreprise.
En matière de rupture du contrat de travail, l’exigence d’un motif réel et sérieux à l’appui d’un licenciement est rappelée. Le droit au préavis et l’obligation de reclassement préalable au licenciement économique ou motivé par l’inaptitude physique sont également érigés en principes fondamentaux.
On notera que les règles applicables en matière de modification du contrat de travail ne sont pas retenues à titre de principe essentiel du droit du travail.
La rémunération:
Dans cette partie figurent le principe d’un salaire minimum fixé par la loi, d’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, la périodicité régulière de versement du salaire et sa protection en cas d’insolvabilité de l’employeur.
Le temps de travail:
La durée normale du travail, fixée par la loi, peut être adaptée par convention ou accord collectif. En revanche, les durées maximales de travail quotidienne et hebdomadaire ne peuvent pas dépasser les limites fixées par la loi. Les salariés effectuant des heures supplémentaires doivent bénéficier d’une compensation.
Le principe du repos quotidien et du repos hebdomadaire, fixé le dimanche sauf dérogation légale, est rappelé. Le travail de nuit est strictement encadré par la loi.
Les salariés à temps partiel bénéficient des mêmes droits que les autres salariés.
Chacun a droit à des congés payés annuels à la charge de l’employeur.
La santé et la sécurité au travail:
Une obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé des salariés pèse sur l’employeur. La possibilité pour un salarié en situation de danger d’exercer son droit de retrait figure parmi les principes.
La surveillance médicale des salariés est exercée par un médecin bénéficiant de garanties d’indépendance. Le contrat de travail du salarié malade est suspendu, et la victime d’une affection d’origine professionnelle bénéficie de garanties spécifiques, dont le rapport ne précise pas si elles sont fixées par la loi.
Les libertés et droits collectifs:
La liberté syndicale, la protection de l’activité syndicale contre la discrimination, le statut protecteur des représentants du personnel et l’exercice du droit de grève sont consacrés.
La participation des salariés, via leur représentants élus, à la gestion de l’entreprise est également érigée en principe.
La négociation collective et le dialogue social:
La commission érige en principe l’obligation pour le Gouvernement de faire précéder toute réforme du droit du travail relevant du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle d’une concertation avec les partenaires sociaux, mais pas nécessairement d’une négociation, celle-ci étant évoquée comme une éventualité.
Les salariés participent à la détermination collective des conditions de travail, notamment via les syndicats représentatifs.
La loi détermine les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs fixent des normes différentes de celles résultant de la loi et du règlement. Si la loi le permet, en cas de conflit de normes, la moins favorable peut s’appliquer au salarié.
De même, une convention ou un accord collectif moins favorables que les stipulations contractuelles peut prévaloir sur ces dernières si la loi le prévoit.
Le contrôle administratif et le règlement des litiges:
L‘inspection du travail veille à l’application de la loi. Les litiges sont portés devant une juridiction composée de juges qualifiés en matière de droit du travail.
Les syndicats peuvent agir en justice pour la défense des intérêts collectifs de la profession.
L’exercice par le salarié de son droit d’agir en justice ou de témoigner ne peut, sauf abus, donner lieu à sanction.
Les étapes suivantes:
Pour les membres du comité, les principes ainsi dégagés devraient figurer dans un chapitre autonome placé en tête du Code du travail. Ils constitueraient une sorte de préambule, à la lumière duquel les règles de droit du travail devraient être interprétées et appliquées.
Le projet de loi “El Khomri”, qui devrait être présenté au conseil des ministres du 9 mars 2016, devrait s’appuyer sur les principes rappelés par le comité des sages.
En parallèle, une commission d’experts doit être mandatée pour s’atteler à la réécriture du Code du travail, autour de 3 axes : les droits fondamentaux définis par le comité Badinter, le domaine réservé à la négociation collective de branche ou d’entreprise, et les règles applicables en l’absence d’accord.
29 février, 2016